Lettre 3è d'Ana
Je
t'écris aujourd'hui, parce que je ne supporte plus de te voir ruiner
tout ce que je t'ai donné. Cela fait longtemps que je t'observe.
Au début, j'avais un peu de compréhension, puis celle-ci est devenue de la pitié, ensuite de l'horreur, et maintenant, la colère s'est emparée de moi.
Tu es assise sur ton lit, tu mâches, tu manges, tu avales des
masses et des masses de pâtes, de pain, de bonbons et de chocolat. Tu
m'ignores lorsque j'essaie de t'empêcher de te goinfrer à nouveau.
'Demain, promis!' semblent être tes mots favoris, car ces derniers
temps, tu me les sors après chaque crise. 'Demain' est un terme très
flexible, et j'ai la très nette impression que tu essaies de faire
taire ta mauvaise conscience avec ces deux mots.
Tu
ne t'es pas pesée aujourd'hui, et nous savons toutes les deux pourquoi.
Les chiffres sur ta balance ont encore augmenté.
Cette semaine n'était-elle pas censée être le début d'une nouvelle vie, dans laquelle ta métamorphose en papillon magnifique et léger devait avoir lieu? Réfléchis un peu à tous ces kilos que tu aurais pu perdre cette semaine! Pourquoi as-tu mangé aujourd'hui? pourquoi n'as-tu pas fait de sport pour anéantir ces horribles calories que tu as avalées? Je vais te dire pourquoi.
Tu es indisciplinée, paresseuse et grosse. Tu ne mérites pas mon amitié. La seule raison pour laquelle je ne t'ai pas encore quittée, c'est que je n'aime pas abandonner les gens.
Mais je n'ai pas l'intention d'assister plus longtemps à ce spectacle. Tu ne fais que me trahir et ignorer notre accord. Aurais-tu oublié notre pacte? Tu m'as promis de ne pas craquer. De martyriser ton corps obèse avec du sport jusqu'à t'écrouler de fatigue. De t'endormir tous les soirs le ventre vide. Tu m'as juré de ne plus aimer la nourriture.
Tu sais, moi, je ne t'ai pas trahie. Si tu avais tenu parole, tu l'aurais déjà, ton corps de rêve; mais voilà, tu m'as déçue, comme tant d'autres filles qui ne me méritent pas. J'aurais pu tant te donner. Tu aurais été resplendissante; tes membres seraient devenus délicats et fragiles, et tu aurais ressemblé de plus en plus à un ange tombé du ciel. Plus notre amitié serait devenue intime, plus nos deux âmes se seraient soudées, plus tu aurais pu partager ma perfection. Je t'aurais rendue belle et transparente, une lueur angélique aurait émanée de ton corps parfait.
Peut-être même qu'un jour, je t'aurais donné des ailes avec
lesquelles t'envoler pour laisser derrière toi toute la douleur
endurée. Je n'aurais pas fait que changer ton apparence. J'ai donné un
sens à ta vie, ne l'oublie pas, et si tu m'avais suivie sans me trahir,
j'aurais changé aussi tout le reste de ta vie. Tu aurais enfin pu
commencer à prendre ta vie à deux mains.
Tes performances se seraient
améliorées. Ta vie serait menée par toutes les qualités qui sont les
miennes. Perfection. Grâce. Charme. Fierté. Beauté. Discipline. Force.
Légèreté. Liberté. Supériorité. Chaque jour aurait été un nouveau
triomphe sous forme de chiffres en constante diminution… Maintenant
regarde où nous en sommes. Bientôt je t'aurai quittée. Mon amitié est
un cadeau précieux que je t'ai fait; toutefois, rien n'est gratuit en
ce monde, et bien évidemment, j'attends quelque chose en retour pour
toute mon aide dans ton combat contre les chiffres.
Tu m'as amèrement
déçue. Je te croyais capable de distinguer ami et ennemi. Ton poids est
ton plus grand ennemi, et tu dois te battre contre lui. Il essaie de
t'attirer à lui grâce à la nourriture. La sécurité trompeuse et
agréable acquise en mangeant n'est qu'illusion. Tu ne peux pas
compenser ta douleur par de la nourriture et les calories ne rempliront
jamais le vide en toi. Car ta vraie amie, c'est moi. Fais-moi
confiance. Je te tends la main une dernière fois. Prends-la et notre
pacte sera renouvelé. Je vais te transformer et je t'élèverai hors de
l'ombre dans la lumière si seulement tu décides de ne pas craquer.
Prends cette chance et ne te laisse pas tromper. Ta graisse autour des
hanches est la preuve que la faim n'est qu'une farce trompeuse: tu n'as
pas besoin de nourriture, car ton corps peut puiser dans ces réserves!! Est-ce
que ce court moment de plaisir vaut vraiment la souffrance que
t'infligera un corps gras?
En l'espace d'une seconde, le goût de
l'aliment s'est évanoui. Puis, la graisse va directement se loger dans
tes cuisses. Je ne peux que rire de ta naïveté. J'espère pour toi que
cette amonestation te ramènera à la réalité. Sinon je partirai et tu
seras seule et délaissée, et personne ne te protègera de ta souffrance.
La nourriture sera ta seule échappatoire. Lève-toi. Fais du sport.
Bats-toi contre cette petite voix qui te dit de manger. Avec mon aide
tu y arriveras. Une vie du bon côté, courronnée de triomphes
innombrables.
Prouve aux autres, ainsi qu'à toi et à moi, ce dont tu es capable. Reste forte, petite soeur. Tu sais, pourquoi…
Bisous, Ana